En 1933, plus d’un quart de la population active américaine se retrouve sans emploi. Les faillites bancaires s’accumulent, mettant en péril l’ensemble du système financier. Malgré une tradition de non-intervention de l’État dans l’économie, une série de mesures inédites va bouleverser les règles établies.
Dans la foulée, plusieurs réformes font grincer des dents jusqu’aux plus hautes juridictions, mais certaines finissent par s’ancrer dans la loi fédérale. Le choc provoqué par ces transformations redessine profondément les rapports entre le gouvernement central, les marchés et la société civile américaine.
La crise de 1929 : origines et défis pour les États-Unis
Le mot “crise” prend une tout autre ampleur en 1929. Ce n’est plus une simple turbulence économique : le krach du 24 octobre à la bourse de New York fait voler en éclats la confiance qui avait soutenu les années folles. Le Dow Jones s’effondre, les chiffres plongent, et même les plus optimistes de Wall Street ne peuvent que constater l’ampleur des dégâts. Les épargnants, sidérés, voient leurs économies s’évaporer, tandis que les banques ferment en cascade.
L’onde de choc ne tarde pas. La grande dépression s’enracine, touchant d’abord l’industrie puis l’agriculture, déjà vulnérable à cause de la surproduction. Les conséquences sont immédiates : le chômage grimpe en flèche, les faillites se multiplient, la consommation s’effondre. Les États-Unis, auréolés de leur victoire de 1918, s’enfoncent dans une période de doute et de privations qui balaie les certitudes d’hier.
Face à la tempête, le président Herbert Hoover campe sur une ligne de réserve, refusant d’engager l’État dans la bataille économique. Les institutions chancellent, la misère gagne du terrain, aussi bien dans les villes que dans les campagnes. La déflagration touche l’ensemble du monde occidental et installe une nouvelle donne sociale et politique pour les États-Unis. Cette page sombre devient le point de départ d’une profonde remise en question collective.
Quelles réponses le New Deal a-t-il apportées face à l’urgence économique et sociale ?
Quand Franklin D. Roosevelt prend les rênes du pays, l’heure n’est plus à l’attentisme. Mars 1933 : le New Deal entre en scène, et pour la première fois, l’État fédéral se lance dans l’action directe face à la détresse ambiante. Le peuple attend des mesures concrètes ; Roosevelt s’entoure d’un cercle d’experts, son fameux brain trust, pour bâtir une politique de rupture.
Le tempo des réformes est saisissant. Pendant les Hundred Days, le Congrès vote une avalanche de lois destinées à sauver les banques, soutenir l’emploi et restaurer la confiance. Le premier volet du New Deal cible l’arrêt de l’hémorragie du chômage et la réparation des déséquilibres sociaux. L’État multiplie les programmes publics, injecte des fonds pour relancer la demande et redistribue les cartes entre privé et public.
Face à l’effondrement généralisé, Roosevelt mise sur une série de dispositifs : soutien aux chômeurs, aides aux agriculteurs, investissements colossaux dans les infrastructures. Son objectif : protéger les plus fragiles, stabiliser la société, redonner une perspective à une population gagnée par la résignation. Ce choix d’une intervention forte traduit la conviction que l’État seul peut enrayer la spirale descendante et retisser le lien social.
Principales mesures du New Deal : entre réformes économiques et transformations sociales
Le New Deal repose sur un éventail de réformes économiques et sociales sans précédent. L’une des priorités, c’est la refonte du système bancaire. Le Banking Act impose une séparation nette entre banques commerciales et banques d’investissement, tandis que la création de la FDIC protège les dépôts des particuliers et rétablit la confiance. Wall Street, désormais sous surveillance, doit composer avec la SEC, qui encadre marchés et transactions.
Du côté de l’agriculture, la régulation s’impose. L’Agricultural Adjustment Act (AAA) tente de stabiliser les prix en limitant la production. Subventions, quotas, destruction volontaire de récoltes : la méthode déroute, mais vise un résultat précis, celui de préserver le revenu des exploitants.
Les grands travaux, quant à eux, bouleversent le quotidien de millions d’Américains. Voici quelques exemples de ces initiatives publiques majeures :
- Le Civilian Conservation Corps (CCC), qui mobilise la jeunesse pour reboiser, lutter contre l’érosion et préserver l’environnement.
- Le Works Progress Administration (WPA), orchestrant la construction de routes, d’écoles et d’infrastructures, offrant des emplois à une armée de travailleurs délaissés.
- Le Tennessee Valley Authority (TVA), chargé d’électrifier des régions entières et de moderniser l’agriculture sur plusieurs États.
Sur le plan social, l’État instaure une sécurité vieillesse et une assurance chômage grâce au Social Security Act. Le National Industrial Recovery Act (NIRA) reconnaît le droit syndical, fixe un plancher salarial et limite la durée du travail. Même la culture bénéficie de cette dynamique : le programme Federal One soutient la création artistique, donnant la parole à une Amérique en pleine reconstruction.
Impacts durables et héritage du New Deal dans l’histoire américaine
Le New Deal transforme durablement les États-Unis. L’État fédéral prend une place inédite, jetant les bases de ce qui deviendra l’État-providence. La Sécurité sociale, instaurée en 1935, inspire encore aujourd’hui les politiques de solidarité collective. L’encadrement bancaire, grâce à la FDIC et à la SEC, façonne la stabilité du secteur financier américain sur le long terme.
Au-delà des chiffres, c’est tout le paysage politique qui évolue. L’expérience rooseveltienne établit l’idée que l’État peut, et doit, intervenir en période de crise. La relance par la dépense publique, théorisée par John Maynard Keynes, devient un modèle, jusqu’à la mobilisation industrielle de la Seconde Guerre mondiale. Les investissements du New Deal accélèrent la modernisation du tissu productif et préparent l’économie aux défis de l’armement.
Le débat ne s’éteint jamais. Les conservateurs pointent du doigt un risque de dérive collectiviste. La Cour suprême bloque plusieurs réformes. Mais l’empreinte du New Deal reste indiscutable : droits sociaux renforcés, infrastructures modernisées, filet de sécurité pour les plus vulnérables. Des parallèles se dessinent avec le Front populaire français, les Accords Matignon, ou encore la politique du Lend-Lease Act envers les alliés : autant de signes d’une Amérique qui, entre Washington et Paris, invente de nouveaux équilibres entre intervention publique et régulation sociale.
Des chantiers titanesques aux premiers filets de sécurité sociale, le New Deal laisse derrière lui une empreinte qui, aujourd’hui encore, anime les débats sur le rôle de l’État et la justice sociale. Peut-on mesurer l’audace d’une nation à la force de ses remèdes face à la tourmente ? L’Amérique de Roosevelt a, en tout cas, choisi d’agir.


